Quatrième partie. Affrontements dans le domaine psychologique : querelles de personnes
4.1 Une station maritime = une personne
Gérard Brichon nous a déjà fait remarquer que ce sont des gens passionnés qui sont à l’origine des stations maritimes. À la création de chaque station se trouve souvent la volonté d’un homme. Il ne s’agissait pas, au XIXe siècle, d’une décision d’État de créer ici ou là des laboratoires. Ce fut la volonté de quelques personnalités. C’est d’ailleurs souvent la volonté et la passion d’un scientifique, d’un industriel ou d’un politique qui fait le succès d’un projet, et le fait que ce projet puisse perdurer dans le temps.
Gérard Brichon : « À l’origine, chaque station, c’était un personnage, qui était à la base de la station, qui a décidé de faire une station et qui a donné la maison souvent, pas tous mais souvent, et qui a obtenu l’argent d’une personne. Et ensuite c’est arrivé entre les mains des universités, et puis après c’est devenu des INSU, des instituts des sciences de l’univers, mais au départ c’était une personne, une station, une personne ».
Gérard Brichon audio :
Un peu plus loin dans l’interview, Gérard Brichon souligne que Raphaël Dubois 1, « un esprit fort » dit-il, faisait probablement peur aux autres scientifiques qui s’inquiétaient qu’il phagocyte leur laboratoire. D’où la recherche par Raphaël Dubois d’une autre implantation avec le site de Tamaris.
4.2 Les egos nécessaires
Comme nous l’avons déjà dit, Lionel Collet considérait que Gérard Brichon était un piètre chercheur, contrairement à son prédécesseur Gabriel Pérès 2 qu’il considère comme étant un « vrai » chercheur (voir la fiche Wikipédia sur Gabriel Pérès, qui retrace une partie de l’histoire de l’Institut Michel Pacha). Et historiquement, Raphaël Dubois était une vraie personnalité, autant que Michel Pacha dans son domaine.
Pour Gérard Brichon, derrière les aspects scientifiques, la prééminence de certaines disciplines par rapport à d’autres, derrière les aspects économiques et de gestion, ou encore les aspects politiques, se cachent des enjeux psychologiques, des affaires d’egos.
Gérard Brichon : « Alors il y a souvent des conflits, des conflits d’intérêts de personnes. Untel est bien en cours actuellement, donc il va obtenir l’aide du gouvernement, des institutions, et il va bouffer les autres, il va les éliminer ».
Gérard Brichon audio :
Gérard Brichon (suite) : « … tout ça, ce sont des histoires de bonhommes, ce sont des histoires d’ego, avant tout. Sous le prétexte de l’efficacité… mais ce sont d’abord des affaires d’ego : on veut être cacique à la place du cacique. C’est connu. »
Gérard Brichon audio :
Nathalie Bicais elle-même pointe l’importance des personnalités à la tête de l’institut.
Nathalie Bicais : « et c’est vrai qu’en fait, ça dépend aussi de la personnalité de celui qui tient la boutique, je suppose, parce que j’imagine que quand ils mettent un responsable de l’antenne de Tamaris, il est un peu autonome, et c’est ce que j’avais cru comprendre des discussions avec Gérard Brichon… Après, c’est difficile, la liaison ne se fait pas toujours de manière aisée. »
Aujourd’hui, même sur la bioluminescence avec les collaborations qui auraient été possibles entre physiciens d’Antares et biologistes de l’Institut, celles-ci semblent difficiles. Comme nous l’avons déjà vu, Gérard Brichon n’hésite pas à critiquer les approches scientifiques des physiciens d’Antares, et les physiciens eux-mêmes pointent du doigt les difficultés à travailler en équipe avec les biologistes (cf. Vincent Bertin et Gérard Brichon dans la première partie 1.3 – L’interdisciplinarité vs la spécialité). Là encore, des egos s’affrontent.
4.3 Les jalousies, les besoins d’argent
Les organisations sociales sont toujours empreintes de difficultés relationnelles, notamment en situation de crise, quand un organisme rencontre des difficultés financières et/ou quand des restructurations sont planifiées. Ici s’expriment les rancœurs et les rancunes.
Gérard Brichon : « Et puis pareil, avec l’université de Lyon c’était pas toujours tout rose. Les chers collègues qui n’arrivaient pas à nous démolir… parce qu’ils voulaient faire disparaître cette station, c’était de longue date, une longue histoire. Même déjà Pérès à l’époque il était embêté avec les « chers » collègues. Mais comme j’avais l’autonomie financière, c’était difficile, mais l’université aurait bien voulu récupérer un petit quelque chose aussi sur le fric, mais non seulement l’université, mais en plus les chers collègues qui étaient dans les UR (Unités de Recherche, N.d.A.), alors déjà ils nous foutaient des bâtons dans les roues mais en plus ils voulaient nous grignoter nos trucs. Alors là j’avais trouvé un arrangement, ils ne pouvaient pas récupérer un centime là-dessus. »
Gérard Brichon audio :
En 2007, quand François Goulard 3 a visité l’Institut, il avait, d’après Gérard Brichon, accordé une subvention en urgence de 100.000 euros, et celle-ci a effectivement été débloquée au niveau de l’État, vers l’université Lyon 1. Mais elle aurait été employée à d’autres usages par Lyon 1, et n’est jamais parvenue à l’institut Michel Pacha.
Comme nous l’avons vu, les difficultés financières étaient une des raisons de la fermeture de l’Institut et Gérard Brichon nous parle aussi de la manière avec laquelle il a été informé de la fermeture de son laboratoire, alors qu’il avait trouvé de l’argent pour le faire perdurer.
Gérard Brichon : « J’ai appris la fermeture du laboratoire en lisant le journal local. Var-Matin. J’étais que le directeur du labo, donc on n’a pas jugé bon de m’avertir qu’on fermait. Donc quand j’ai appris ça, évidemment, vous imaginez ma réaction. Donc j’ai téléphoné, j’ai eu Collet, qui m’a dit oui, oui, mais de toute façon, ça nous coûte trop cher, mais si tu nous trouves un million, je revois la chose. Bon le million évidemment je ne l’avais pas sous la main, mais j’ai commencé à faire la tournée des politiques, et là il se trouve que j’avais un bon rapport, donc on m’a pas dit : on va vous donner un million, mais par contre on m’a dit, un million, ça s’étudie. Nous sommes prêts mais pas dans l’immédiat, nous sommes prêts à essayer d’échelonner le truc. J’a donc téléphoné de nouveau à Collet pour lui dire, voilà, il y a ça, mais il m’a dit bon ben non, de toute façon ça ne nous intéresse pas. Voilà. »
Gérard Brichon vit sa situation comme celle d’un David contre un Goliath : Lyon 1. Il dit qu’il a « fait un infarctus à cause de ces zozos » et qu’ils ont sciamment décrédibilisé le laboratoire sur le plan scientifique dans les médias.
Gérard Brichon : « la guéguerre… c’est pour ça que je suis remonté contre Collet et sa bande de cloportes, ils ont fait sortir dans le journal de La Seyne que les publications scientifiques de l’Institut Michel Pacha ne valaient pas tripette, etc… Ça valait pas un clou. Bon… »
Gérard Brichon audio :
Notes
1 Raphaël Dubois (1849-1929), qui a créé l’Institut Michel Pacha, réunissait la triple qualification de pharmacien, de médecin et de naturaliste. Il découvrit le mécanisme intime du phénomène, montrant que la production de lumière était due à l’action d’un ferment, qu’il nomma luciférase, sur un substrat particulier, la luciférine.
2 Gabriel Pérès — né en 1920 à Carbonne (Haute-Garonne), décédé en 2004 à La Seyne-sur-Mer (Var) — docteur vétérinaire, fut professeur de physiologie générale et comparée à l’université Lyon 1 et directeur de l’Institut de biologie marine Michel-Pacha de Tamaris, à La Seyne-sur-Mer. Voir la fiche wikipedia très complète sur Gabriel Pérès, qui retrace l’histoire de l’institut. https://fr.wikipedia.org/wiki/Gabriel_P%C3%A9r%C3%A8s
3 François Goulard a été secrétaire d’État aux Transports et à la Mer de 2004 à 2005.