Jean-François Ternay : enjeux personnels
J’ai découvert les stations maritimes avec l’historien des sciences Jean-Louis Fischer qui a longtemps travaillé sur leurs origines. J’étais, dans les années 2000, réalisateur de films au CNRS et Jean-Louis Fischer pensait, à juste titre, qu’il y avait matière à faire un film sur l’histoire des stations maritimes en France. Nous avions défendu ce projet dans le cadre des rencontres organisées par le CNRS et la SCAM (Société Civile des Auteurs Multimédia) entre des producteurs de l’AST (Association Science Télévision) et des chercheurs. Sans succès, même si nous pensons toujours qu’il y aurait là un très bon sujet de film.
Avec Jean-Louis Ficher, nous travaillions, à l’époque, sur les représentations de l’embryon humain. Lui comme chercheur en histoire des sciences, dans le cadre d’une ACI (Action Concertée Incitative) au Centre Koyré, moi comme réalisateur audiovisuel au CNRS, puis comme enseignant-chercheur à l’université Paris 11 (aujourd’hui Paris-Saclay) dans un laboratoire d’histoire et philosophie des sciences : le GHDSO (groupe d’histoire et diffusion des sciences d’Orsay).
Quel rapport entre les recherches sur l’embryon humain et les stations maritimes ?
La reproduction sexuée fut longtemps un mystère, et ce n’est que relativement récemment, notamment grâce aux stations maritimes, au XIXe siècle, que ses mécanismes fondamentaux ont été élucidés. Les stations maritimes sont nées avec l’apparition d’une révolution scientifique au sein de la physiologie : la médecine expérimentale (Pierre Rayer, Claude Bernard). Une révolution qui stipule que pour comprendre des phénomènes dans les sciences biologiques comme dans les sciences physico-chimiques, il faut ramener les phénomènes à des conditions expérimentales définies et aussi simples que possible. La physiologie marine, avec la médecine expérimentale, sont ainsi à la base de la compréhension de nombreux mécanismes de la reproduction notamment à partir d’expériences chez des modèles animaux comme les échinodermes. Chez l’oursin, par exemple, l’obtention d’un très grand nombre de gamètes, la transparence des œufs, des embryons et des larves, la possibilité d’effectuer des fécondations artificielles et le synchronisme rigoureux des étapes du développement ont contribué à l’élever au rang de système modèle.
J’avais par ailleurs fait la connaissance de Josquin Debaz, qui avait fait sa thèse avec Jean-Louis Fischer sur les périodiques des stations françaises de biologie marine entre 1872 et 1914 1. J’ai retrouvé Josquin Debaz dans le cadre d’un séminaire à l’EHESS (École des Hautes Etudes en Sciences Sociales) sur le logiciel d’analyse de données textuelles : Prospero. Or Josquin Debaz, avec Francis Châteauraynaud qui dirige le GSPR (Groupe de Sociologie Pragmatique et Réflexive) et les chercheurs du groupe ont développé une sociologie dont je me sens très proche : une sociologie qui s’enracine dans la théorie de l’acteur-réseau, une sociologie pragmatique qui notamment analyse les controverses sociotechniques, les enjeux et les jeux d’acteurs dans des situations de crise où se révèlent les arguments des uns et des autres.
Jean-Louis Fischer m’a transmis cette passion pour l’histoire, et pour ces stations méconnues. Le laboratoire de Francis Châteauraynaud, avec Josquin Debaz, m’a transmis leur passion pour la sociologie pragmatique.
Je connaissais, en tant que cinéaste, la station maritime de Roscoff, pour y avoir tourné un film sur les modèles animaux, et j’étais familier des recherches marines lors de missions sur des navires tels que le Côtes de la Manche ou L’Atalante. J’étais plusieurs fois allé visiter le musée océanographique des Embiez, appartenant à la station Paul Ricard, et ce faisant, j’étais souvent passé devant Tamaris, le laboratoire océanographique de La Seyne-sur-Mer… fermé.
C’est ainsi que, partageant nos travaux et passions avec mon collègue Fréderic Tournier, découvrant nos expériences et notre intérêt commun pour les stations maritimes, nous avons décidé de commencer un travail de recherche sur ces stations.
Nous avons privilégié trois stations, centrées sur la Méditerranée : Tamaris, dont nous ne comprenions pas la fermeture, Villefranche-Sur-Mer qui semble très bien fonctionner et Endoume, à Marseille dont nous avions eu l’écho de quelques difficultés par le passé.
Pourquoi Tamaris est-elle fermée ? Pourquoi Villefranche est-elle si réputée ?… et qu’en est-il d’Endoume, pourquoi ne joue-t-elle pas dans le concert des trois stations qui concourent au Centre Européen des Ressources en Biologie Marine : Roscoff, Villefranche et Banyuls 2 ?
C’est sur cette simple question de départ qu’a commencé notre travail.
Jean-François Ternay
Notes
1 Les stations françaises de biologie marine et leurs périodiques entre 1872 et 1914. 2005. https://tel.archives-ouvertes.fr/tel-00380587
2 Le Centre National de Ressources Biologiques Marines, European Marine Biological Ressource Centre, EMBRC-France, https://www.embrc.eu/