Frédéric Tournier : enjeux personnels
Les stations biologiques ont joué un rôle important aussi bien dans mon parcours de formation que dans ma vie professionnelle. Lorsque j’étais en maîtrise de biologie cellulaire à l’université Paris 6 (devenue Pierre et Marie Curie et aujourd’hui Sorbonne Université), à Jussieu, un stage d’une semaine à Roscoff était programmé dans le cursus.J’ai découvert un lieu nouveau, une ambiance où la rudesse du climat était contrebalancée par la gentillesse de l’accueil et la pertinence des enseignements (je pense en particulier à Gérard Peaucellier). Nous sommes sortis à marée basse avec, comme des mômes, des bottes et un seau, nous avons posé des questions aux encadrants et ramassé toutes sortes de végétaux et d’animaux. Etalés plus tard sur une paillasse de laboratoire, il s’agissait alors ensemble de reconnaître ou d’identifier toutes ces espèces.
L’année suivante, au cours du DEA (diplôme d’études approfondies, équivalent de la deuxième année de master), je retrouvai Roscoff à deux reprises : un nouveau stage du même genre, avec toujours le même intérêt et les mêmes émotions face à la mer, aux marées, au développement précoce des œufs d’oursins visualisé en direct sous une loupe binoculaire et filmé, et un colloque historique (la conférence Jacques Monod sur le cycle cellulaire en septembre 1988) auquel je ne devais pas théoriquement participer 1. En effet, je venais d’achever mon année de DEA, je poursuivais en thèse sur le même sujet et dans le même laboratoire, et mon directeur de thèse, Michel Bornens, avait décidé de se rendre à ce colloque (il faisait une présentation orale) avec une autre doctorant, alors en deuxième année, et des chercheurs du laboratoire. Le colloque débutait le lundi 5 septembre. Sous le coup d’une intuition un peu folle, je sautai dans ma voiture le dimanche soir et je roulai une bonne partie de la nuit entre Paris et Roscoff. Quelle ne fut pas la surprise de Michel de me voir arriver à la station ! Dans l’amphithéâtre seront présentés les exposés de tous les grands chercheurs sur le cycle cellulaire de l’époque, notamment les anglais, les américains, les japonais et les français, à une période cruciale pour la recherche sur le cycle, qui « réconciliait » les biochimistes et les généticiens ! Le régulateur universel du cycle eucaryote, mis en évidence par deux approches très différentes était enfin caractérisé 2.
Cette spontanéité a été fructueuse : je retrouvais la station de Roscoff et les émotions passées, j’assistais aux présentations de grands chercheurs biologistes, et nous nous baignions en fin d’après-midi ! Plus tard, pendant mon doctorat et mes premières années d’enseignant-chercheur, c’est la station de Banyuls qui joua un rôle important. Chaque année, un colloque de petite envergure (une soixantaine de participants) était organisé 3, mixant des chercheurs confirmés et des « juniors » qui pouvaient présenter leurs travaux oralement. Ce colloque ayant lieu au mois de juin, nous profitions de la plage, des terrasses, et des soirées festives pour parler de science également. Finalement, c’est la station de Villefranche-sur-Mer que j’ai connue en dernier 4. Un collègue de Paris 6 avait été nommé pour diriger une équipe et je lui ai rendu visite plusieurs fois. Autre station, autre endroit magnifique.
Comme à Banyuls, les doctorants et les jeunes chercheurs en particulier organisaient leur temps entre expériences, lectures, écriture, et… bains de mer, voile et plongée ! C’était, vu de l’extérieur, une vie de paradis. Je suis ensuite retourné plusieurs fois à Villefranche, pour un jury de thèse, pour présenter un séminaire de recherche, pour un colloque, et chaque fois, la même impression : un lieu où on pouvait combiner le travail du chercheur et le bien-être immédiat, grâce à la présence de la mer !
Ce n’est que plus récemment, lors de l’été 2011, en vacances dans la région, que je passais sur la corniche Pompidou, à Tamaris, et que je découvrais la façade de l’Institut Michel Pacha. Quelle surprise ! Quelle étrangeté ! J’apprenais assez vite qu’il s’agissait d’une station maritime gérée par l’Université Claude Bernard – Lyon 1, mais que l’activité scientifique, au moins concernant la recherche en physiologie marine, avait été arrêtée en 2008.
Confiant mon intérêt pour les stations maritimes à mon collègue Jean-François Ternay, j’eus la bonne surprise qu’il me fasse part d’un même enthousiasme, même si ses raisons étaient différentes. Il a fallu du temps pour nous décider, mais nous allions étudier les stations maritimes françaises et essayer de comprendre à travers leur histoire et leurs activités des modes de fonctionnement de la recherche, les priorités disciplinaires, les opportunités, les échecs et les aventures humaines et scientifiques. Nous avons débuté notre étude par l’Institut Michel Pacha en mai 2016, et la rencontre avec le président sortant de l’Université Lyon 1 – Claude Bernard, François-Noël Gilly. Ce site présente l’histoire et l’actualité de trois stations maritimes méditerranéennes, de taille et d’activité différentes, gérées par trois universités également différentes. Outre l’histoire des stations, notre étude explore la complexité des interactions qui animent un laboratoire scientifique et met en évidence des éléments nombreux liés au fonctionnement de la recherche.
Frédéric Tournier
Notes
1 En 1988, Éric Karsenti initie la première conférence Jacques Monod sur le cycle cellulaire à Roscoff, aujourd’hui devenue le rendez-vous incontournable dans ce domaine.
2 Le facteur qui promeut la maturation d’ovocytes (MPF en anglais) est le même que celui qui déclenche la division cellulaire dans les cellules, une protéine de 34 kDa codée par un gène semblable dans toutes les espèces, le gène cdc2. Les résultats donneront lieu au partage du prix Nobel de médecine et de physiologie 2001 entre deux chercheurs anglais, Paul Nurse et Tim Hunt et un américain, Leland Hartwell.
3 Le club français du cytosquelette.
4 Les trois stations biologiques, Roscoff, Banyuls et Villefranche appartiennent et sont gérées par l’Université Sorbonne Université. http://www.upmc.fr/fr/universite/stations_marines/convention_universites_marines_francaises.html